Je m’élance, saute et... j’ai honte de me relever Sciure dans la bouche, larmes aux yeux, Au chiffre fatidique de deux mètres douze La barre arrête mon ascension. Je vous l’avoue en toute franchise Ainsi est faite la vie sportive, A peine arrive-t-on en haut Qu’irrémédiablement on retombe aussitôt. Mais je goûterai au fruit défendu, Je saisirai la gloire par la queue, Les autres prennent appel du pied gauche Moi je prends appel du pied droit. Je m’élance, saute... Les témoins de ma chute Sifflent, me tirent par les pieds dans l’abîme, Mon entraîneur me dit sans pitié: Mais mon garçon, tu sautes en longueur! T’as les ligaments de l’aine distendus! Prendre l’appel du droit, quel stupide caprice! Tu ne tiendras pas en l’air Immanquablement tu retomberas sur ton derrière. Mais... m’étouffant, comme de colère, Je lui démontre par A plus B: l’essentiel, C’est qu’ils attaquent du pied gauche Alors que moi, j’attaque du pied droit! Je m’élance, saute... Non jamais je ne rattraperai le Canadien, Il me rit au nez dans son vol, Deux mètres douze, de nouveau je fais tomber la barre Et l’entraîneur me dit tout net Qu’il me flanquera à l’eau Histoire de faire passer l’envie aux autres, Si sur-le-champ je n’abandonne Mon incorrect appel du pied droit. Mais j’aimerais mieux mourir empoisonné, Attenter à mes jours même, Plutôt que de changer mon droit incorrect Contre un gauche correct! Dans les tribunes c’est le rire général, Mais leurs sarcasmes n’éteignent pas mon ardeur: Je m’élance, saute, vole et hop! les deux mètres douze S’inscrivent maintenant à mon palmarès. La douleur à l’aine peut bien me tenailler, Je peux sauter maintenant à en claudiquer, J’ai quand même atteint le sommet, Plus personne ne peut m’en déloger. Voilà, j’ai mangé le fruit défendu, J’ai attrapé la gloire par la queue, Qu’ils prennent appel du pied gauche si ça leur chante, Moi je prends appel du pied droit.        
© Antoine Lobstein. Traduction, ?