Quelle est cette demeure tranquille Plongée dans les ténèbres. Ouverte aux quatre vents Déchaînés et matois De toutes ses fenêtres Tournée vers le ravin Et de ses portes Vers la grand’route. Bien que fatigué, oh combien! j’ai dételé mon cheval Eh! Il y a quelqu’un? Qu’on vienne m’aider. Personne, seule une ombre a glissé dans l’entrée Et un vautour est descendu, volant en cercles plus étroits. On entre dans cette maison Comme dans une taverne Et les gens qui sont là Ne disent rien qui vaille. Ils font la grimace. Voilà un visiteur indésirable Même les icônes dans leur coin Ont la gueule de travers. Et voilà que s’engage une conversation trouble et bizarre L’un d’eux gémit une chanson et tourmente une guitare. Et un type épileptique, niais et voleur Me fait voir en cachette son couteau sous la nappe. Qui me dira Quelle est cette demeure? Pourquoi cette obscurité Comme dans une baraque de pesteux? La lumière des lampes s’est éteinte L’air s’est écoulé Est-ce que chez vous On aurait désappris à vivre. Vos portes sont grand ouvertes, mais vos cœurs fermés! Qui est le maître ici, qui m’offrira du vin? Et on me répond: ça se voit que tu as fait un long voyage Et que tu as oublié les hommes: nous avons toujours vécu ainsi. Nous mangeons de l’herbe, A force d’avaler de l’oseille Nos cœurs se sont aigris Et couverts de pustules On s’est longtemps consolés Avec du vin On a ruiné la maison On s’est battus, pendus. J’ai fourbu mes chevaux, j’ai échappé aux loups Montrez-moi le pays où les lampes éclairent Montrez-moi l’endroit que je cherchais Où l’on chante au lieu de gémir, où le plancher est droit. Nous n’avons pas entendu parler De telles maisons. Depuis longtemps nous sommes habitués A vivre dans le noir! Depuis toujours nous avons vécu Dans le mal et les chuchotements Sous les icônes, Dans la nuit noire. Loin de la puanteur de cette maison, où les icônes ont la gueule de travers Je me suis précipité à bride abattue, ayant jeté mon fouet Là où mes chevaux m’emportaient, droit devant moi, Là où vivent des hommes, vivent comme des hommes. Que d’eau a coulé, que de choses ont passé Comme j’ai été ballotté, mais nulle part amené, Peut-être que je n’ai pas su vous chanter Beaux yeux noirs, nappe blanche.
© Michèle Kahn. Traduction, 1977