Quand on voyage en train ou en auto Ou bien qu’on se promène avec un coup dans l’aile Vu l’abondance actuelle d’automobiles Il est dur de vivre sa vie jusqu’au bout. Tenez: un accident sur l’autre rive de la Moscova. Trois types partaient en enterrer un quatrième. Tous y compris le chauffeur ont été touchés. Seul le gars dans le cercueil s’en est bien tiré. Les pleureuses sanglotaient sans énergie Même le diacre n’arrivait pas à sortir la note du haut Les cuivres détonaient à qui mieux mieux Seul le gars dans le cercueil jouait bien son râle. Son ancien supérieur, un bandit qui cachait son jeu Lui baisait le front puis crachait de dégoût Tout le monde lui a touché le front des lèvres, mais le modeste défunt Finalement, n’a embrassé personne. Mais... Voilà le tonnerre qui tonne et qu’y faire? Les forces de la nature se foutent bien des discours Tous ont couru se réfugier sous les toits et les pierres tombales. Seul le défunt n’a pas pris ses jambes à son cou. Que lui importe la pluie, ça ne change rien pour lui, Les vivants n’ont pas cette endurance, Mais les défunts, les ex-humains Sont des gens courageux, ce n’est pas comme nous. On a beau se presser, on est devancé Par une étiquette bien collée, comme une marque au front Et on est à l’abri des menaces Que dans un cercueil de chêne. On peut avoir un cercueil particulier ou communautaire, Le problème du logement ne tracasse pas les défunts. C’est un brave mec, ce défunt-là. Il ne donne pas trop de tintouin. Au royaume des ombres, dans cette soirée austère, Il n’y a ni dangers ni craintes Nous, nous sommes tous dans la maison de Dieu Sauf ceux qui sont dans leur cercueil, eux, ils sont bien.
       
J’entends d’Ici les reproches: il chante la gloire des défunts. Non, je m’en prends à la destinée injuste: Tous nous serons un jour écrasés par quelqu’un. A l’exclusion de ceux qui sont dans leur cercueil.
© Michèle Kahn. Traduction, 1977