Dans une réserve, je ne sais plus laquelle
Il y avait un bouc, avec de longues cornes.
Bien que vivant avec les loups, il ne hurlait pas avec les loups
Il bêlait des chansons, des chansons de bouc.
Il mâchait de l’herbe et Il s’engraissait
Jamais on ne l’entendait dire un mot méchant
C’est vrai qu’il était utile comme cautère sur jambe de bois
Mais il ne causait non plus aucun dommage.
Il vivait sur son pré, près d’un lac
Sans empiéter sur le domaine d’autrui
Mais on remarqua le modeste bouquetin
Et on en fit un bouc émissaire.
Par exemple si l’ours, ce coquin trouble-fête
Insultait quelqu’un avec sa légèreté d’ours,
On allait chercher le bouc, on l’amenait, on le battait,
Sur les cornes, entre les cornes.
Et lui, le bouquetin gris, il n’opposait pas de résistance à la violence
Il encaissait les coups gaîment, fièrement,
L’ours lui-même disait: les gars, je suis fier du bouc.
C’est un vrai héros, cette gueule de bouc!
On prenait soin de lui, comme si c’était un héritier
Et on lança même un interdit dans la forêt:
Ne pas laisser sortir de la réserve
Le bouc émissaire.
Le bouc, lui, sautait toujours comme un cabri,
Mais il faisait des frasques en cachette.
Une fois, il noua sa barbiche
Et de derrière les buissons, il traita le loup de salaud.
Et quand il servit une fois de plus d’émissaire
Quand les loups avaient mordu
Il se mit comme par hasard à grogner comme un ours
Mais personne alors n’y prêta attention.
Pendant que les fauves se battaient entre eux
L’idée allait bon train dans la réserve
Que ce cher bouc émissaire
Valait bien plus que les ours et les renards.
Le bouc entendit cela et en fut transporté.
- Eh vous, cria-t-il, les bruns, les noirs et blancs,
Je vais vous priver de vos rations spéciales pour loups
Et de vos privilèges d’ours
Je vous montrerai ce que c’est qu’une face de bouc
Je vous remettrai tous à votre place.
Je vous embobinerai tous autour de mes cornes et je vous secouerai par les chemins
Et je vous ferai votre réputation dans le monde.
Vous serez beaucoup à mordre la poussière
Vous crèverez tous sans absolution
C’est moi qui dois absoudre,
Moi qu’on chargeait de tous les péchés.
Dans une réserve, je ne sais plus laquelle
C’est maintenant un bouc qui mène la danse
Lui qui vivait avec les loups, il s’est mis à hurler avec les loups.
A grogner comme les ours.
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