Chauffe-moi l’étuve à blanc Je suis perdu en ce bas monde. Je me saoulerai de vapeur Et ma langue se déliera. Chauffe-moi l’étuve, mon hôtesse, Je veux me dissoudre, me consumer. Assis tout au bord du banc, J’anéantirai mes doutes. Je me laisserai envahir par la chaleur Une cruche d’eau fraîche chassera le passé Et mon tatouage de l’époque du culte Se détachera en bleu sur ma poitrine, à gauche. Chauffe-moi l’étuve à blanc Je suis perdu en ce bas monde. Je me saoulerai de vapeur Et ma langue se déliera. Que de foi, que de forêts abattues, Que de chagrin, que de chemins parcourus. Sur ma poitrine, à gauche, le profil de Staline Et à droite ma Marinka, de face. Eh! pour ma foi sans partage, Que d’années de vacances j’ai passées au paradis. J’ai payé d’une vie sans joie Mon incroyable sottise. Chauffe-moi l’étuve à blanc Je suis perdu en ce bas monde. Je me saoulerai de vapeur Et ma langue se déliera. Je me souviens comme un matin, de bonne heure, J’ai eu le temps de crier à mon frère «A l’aide» Et deux gardes, de jolis garçons, M’ont mené de Sibérie en Sibérie. Et puis après, dans les carrières, dans les marais, Repus de larmes et d’air humide Nous nous sommes tatoué son profil près du cœur Pour qu’il entende nos cœurs se rompre. Ne me chauffe pas l’étuve à blanc Je suis perdu en ce bas monde. Je me saoulerai de vapeur Et ma langue se déliera. Oh! Ce récit me donne le frisson! La vapeur m’a chassé les idées de la tête. Je veux secouer le brouillard froid du passé Pour me plonger dans un brouillard brûlant. Les pensées battent sous mes tempes: C’est donc en vain que je porte ces stigmates Et je fustige avec les verges du bouleau L’héritage des temps maudits. Chauffe-moi l’étuve à blanc, Que je m’habitue à ce bas monde. Je me saoulerai de vapeur Et ma langue se déliera.
© Michèle Kahn. Traduction, 1977