Depuis la frontière nous avons fait tourner la Terre à l’envers Ça c’était au début Mais notre commandant l’a remise dans le bon sens En s’appuyant du pied sur l’Oural. Enfin on nous a donné l’ordre d’attaquer De reprendre tous ces pouces et ces miettes de terre. Mais nous n’avons pas oublié que le Soleil avait fait marche arrière Et avait bien failli se coucher à l’Est. Nous n’arpentons pas la Terre En écrasant les fleurs pour rien Nous la repoussons de nos bottes Loin de nous, loin de nous. Et le vent d’Est a courbé les meules Les troupeaux se serrent contre les rochers Nous avons déplacé l’axe terrestre sans levier En modifiant la direction du coup. N’ayez pas peur quand le couchant n’est pas à sa place Le jugement dernier, c’est un conte pour les aînés Mais voilà, on fait tourner la Terre comme ça vous chante Des troupes fraîches sont en route pour nous remplacer. Nous rampons, nous étreignons les monticules Nous pressons haineusement les mottes Et avec nos genoux, nous repoussons la Terre Loin de nous, loin de nous.                         Un homme s’est dressé de toute sa taille, il a fait un grand salut Et a reçu une balle de plein fouet Mais le bataillon rampe vers l’Ouest, vers l’Ouest Pour que le Soleil se lève à l’Est. Le ventre dans la boue, nous respirons la puanteur des marais Mais nous fermons les yeux sur l’odeur Maintenant, le soleil parcourt normalement le ciel Parce que nous fonçons vers l’Ouest. Que nos bras et nos jambes soient ou non à leur place Buvant à petits coups la rosée comme un vin de noce Nous tirons la Terre avec nos dents par les tiges des fleurs Vers nous» loin de nous.
© Michèle Kahn. Traduction, 1977