Le long de la falaise, au bord même du précipice Je pousse mes chevaux, je les cingle du fouet Je sens que l’air me manque, je bois le vent, j’aspire le brouillard Je sens dans un transport funeste que je cours à ma perte. Un peu moins vite, mes chevaux, un peu moins vite. Ne prêtez pas attention au knout ni au fouet. Mais sur quels chevaux suis-je tombé? Je n’ai pu aller au bout de ma vie, et je n’irai pas au bout de ma chanson Je vais faire boire mes chevaux, finir de chanter mon couplet Au moins je resterai encore un peu sur le bord Je disparaîtrai, l’ouragan me balaiera comme un duvet Et un traîneau m’emportera au matin sur la neige, au galop de ses chevaux O mes chevaux, ralentissez le pas, Prolongez ne serait-ce qu’un peu la route vers la demeure dernière. Un peu moins vite, mes chevaux, un peu moins vite. Ne prêtez pas attention au knout ni au fouet. Mais sur quels chevaux suis-je tombé? Je n’ai pu aller au bout de ma vie, et je n’irai pas au bout de ma chanson Je vais faire boire mes chevaux, finir de chanter mon couplet Au moins je resterai encore un peu sur le bord. Nous sommes arrivés à temps, les hôtes de Dieu sont toujours à l’heure Alors pourquoi les voix des anges sont-elles si dures ? Est-ce une clochette qui s’étouffe de sanglots Ou ma voix qui crie aux chevaux de ne pas emporter si vite le traîneau. Un peu moins vite, mes chevaux, un peu moins vite. Je vous en supplie, ne foncez pas au galop. Mais sur quels chevaux suis-je tombé? Je n’ai pu aller au bout de ma vie, et je n’irai pas au bout de ma chanson Je vais faire boire mes chevaux, finir de chanter mon couplet Au moins je resterai encore un peu sur le bord.
© Michèle Kahn. Traduction, 1977