Où que j’aille me mettre avec mon âme, chaque fois Un chien me suit: ma destinée impuissante et malade. A coups de pierres je le chasse - il se serre contre moi, Les yeux à fleur de tête et tout baveux il me regarde. Mon Dieu, quel ennui! Mon œil se ternit, Ma face pâlit, Gargouille mon ventre, Je suis tout raidi, Ma gorge me fuit, Et boite ma vie - En moi rien ne chante! Est-ce que je vieillis? Ah, vite, un bourreau... Je le paiereai, oui, Qu’il me pende haut! Cent fois je me jurais de ne plus jamais m’en soucier, Mais je la plains, ma destinée affamée et tremblante; Et je me suis alors mis à la nourrir, par pitié - Or, quand elle est repue, elle dort longtemps et s’absente. Et je me balade, Zigzague et m’écarte, Fais un tas de blagues, J’enfume les cieux. Mon chien, je le garde, J’aboie comme quatre Sur ce qui me regarde Et quand je le veux. Quand j’aurai vieilli, J’irai au bourreau Et le paierai, oui, Qu’il me pende haut. E m’arrive de fourrer la tête dans un tel feu Que ma destinée recule, effrayée et toute blême; Un jour je lui versai du vin pour la remonter un peu, Mais depuis, pas un jour sans verre, et elle grogne même: Avec, rien qu’on croque! Soi-disant, mon pote, Je serais à New York Toute en chinchilla... Mais moi, dans mes loques, Faut que je la remorque Et porte l’ivrogne En haut et en bas... Je n’aurai pas vieilli. J’irai au bourreau Et le paierai, oui, Qu’il me pende haut. Voici que par hasard je lui ai versé plus que sa norme, Et elle a craqué, a changé de couleur, la très-chère; Elle s’est mise à m’insulter et, convertie en Fatum, M’a soudainement pris à la gorge, par derrière. Déjà elle appuie, Déjà je bleuis, En courant je crie Dans mon épouvante : Non, pas à la gorge! Non, pas à la gorge! Non, pas à la gorge: Il faut que je chante! Si je reste en vie, J’irai au bourreau - Et je paierai, oui, Qu’il la pende haut!
© Henri Abril. Traduction, ?