Nous roulions la Terre à l’envers depuis la frontière (C’était au commencement). Mais notre commandant la fit retourner en arrière, Au pied de l’Oural du pied s’appuyant. On nous donna enfin l’ordre d’attaquer, De reprendre nos lopins et nos restes; Et nous nous rappelons comment le soleil a rebiqué Et failli se coucher à l’Est. Nous ne mesurons pas la Terre de nos foulées, Ecrasant pour rien les boutons d’or; Nous la poussons de nos semelles cloutées Au-dehors! Au-dehors. Le vent d’Est a courbé les halliers, Les brebis se blottissent contre les falaises. Nous avons bougé l’axe du globe sans levier, En changeant la direction sur laquelle on pèse. N’ayez pas peur si le couchant n’est pas à sa place, Le jugement dernier c’est des contes pour grands; La Terre, nos bataillons de marche La font tourner où ils veulent, bonnement. Nous rampons, nous embrassons les buttes, Pelotons les mottes sans amour, sans remords, Et poussons de nos genoux la Terre comme des brutes Au-dehors! Au-dehors. Ici nul ne trouverait dans le décor Des mains levées pour se rendre. Nous, les vivants, tirons grand profit des corps: Les morts nous font un rempart de leurs membres. Le plomb vil nous trouvera-t-il tous d’un seul coup? Où nous atteindra-t-il: à bout portant? par derrière? Là-bas devant, quelqu’un s’est jeté sur un blockhaus Et l’on a vu se figer la Terre entière. J’ai laissé derrière moi mes jambes; Pleurant les morts en passant, De mes coudes je fais tourner le Globe Au-dedans! Au-dedans. Quelqu’un s’est dressé de tout son haut et fait la révérence, D a reçu une balle en plein ventre. Mais vers l’Ouest, vers l’Ouest en rampant le bataillon avance Pour que le soleil se lève à l’Orient. Aplatventre dans la boue... Nous respirons la puanteur des marais... Mais fermons les yeux sur la vase qui empeste. Aujourd’hui le soleil fait au ciel son trajet correct Parce que nous, nous fonçons vers l’Ouest. Que bras et jambes soient là ou non, superbes, Comme à la noce au cœur des fleurs buvant, Nous tirons de nos dents la Terre par ses herbes Au-dedans! Au-dedans.
© Léon Robel. Traduction, 1988