Il n’y avait encore ni froid ni glace, Tiède était la terre, l’obier si joli. Et dans la terre vint prendre place Un homme de plus à Novodiévitchi. - Il ne connaissait certainement pas les signes, - Ressasse stupidement la foule - - La mort prend d’abord ceux de nous Qui s’en montrent dignes. Si c’est ça, ne te presse pas, Vassili. Enlève les clous, desserre les serre-joints. Recommence le tournage! Récris le livre! Rejoue la pièce! Reste vivant. Mais, faisant éclater les hommes en sanglots, Dans ton ventre une balle est venue se loger. Comme un chien fidèle, à terre tu es tombé. Et à côté poussait un obier Un obier si beau! La mort marque les meilleurs Et l’un après l’autre les extirpe. Quel frangin est parti pour l’obscur ailleurs! Bien mal lui en a pris! Il ne s’agite plus et ne connaît plus l’ennui.         Et il y aurait eu un Razine cette année-là! Où sont les extérieurs? L’Onéga? Le peuple de Russie? Nom d’une pipe, Vassili, Tu n’as pas donné vie à un tel gars! Les troncs blancs des bouleaux, tu les caressais Dans le petit matin de cinéma, délirant. Mais tu t’es apaisé pour de vrai, Plus définitivement qu’à l’écran. Voilà qu’après une interruption temporaire Le destin entre ses dents a grommelé: De l’homme aux pommettes saillantes le tabou il faut lever Vu que, de son cercueil, il a pu assister Aux offices des morts et aux repas funéraires! Lui qui a dans le corps une âme si grande Et sur ses épaules un poids immense, Il faut le prendre dans son lit tout chaud par un beau matin Pour qu’il n'aille plus tenter le destin. Et après un bain revigorant, Propre, sobre, avec le sourire Le voilà qui meurt pour de bon, sans prévenir, Plus sereinement qu’à l’écran. En déposant le cercueil dans la terre creusée Au milieu des bouleaux de Novodiévitchi, Nous hurlions en envoyant notre ami Faire la noce sans répit. Et un lilas poussait tout près d’ici. Un lilas d’automne - dépouillé.
© Hélène Ravaisse. Traduction, 1980