De la frontière nous laissions tourner la Terre en arrière, (C’était le cas au début) Mais notre chef de bataillon renversa ce mouvement En prenant appui sur l’Oural. On nous donna enfin l’ordre d’attaquer, De reprendre les pouces, les miettes de notre terre, - Mais nous nous souvenons encore du soleil qui s’était mis à reculer Et qui avait failli se coucher à l’Est. Nous n’arpentons pas la Terre En écrasant des fleurs en vain, Nous la repoussons de nos bottes - De tout notre poids! De tout notre poids. Et le vent de l’Est fait courber les meules de foin, Se serre contre les rochers, la meute. Nous fîmes bouger l’axe terrestre sans levier, Par ce changement du coup d’envoi. N’ayez crainte si le coucher du soleil n’est pas à sa place. Le jour du jugement, c’est un conte pour les grands. Ce sont nos bataillons de renfort qui marchent Et qui font tourner la Terre où bon leur semble. Nous rampons, nous embrassons les monticules, Nous serrons les mottes méchamment, sans amour. Et nous repoussons la Terre de nos genoux, De tout notre poids! De tout notre poids. Ici nul ne put trouver, même s’il avait voulu, Ceux qui auraient mis haut leurs mains. Les vivants utilisent à leur avantage Les corps des défunts comme boucliers. Cet idiot de plomb mettra du temps à nous trouver tous, Par où m’aura-t-il, à bout portant ou de derrière? Quelqu’un s’abattit sur la place forte devant nous, Et la Terre se figea un instant. Je laissai mes pieds derrière moi, En pleurant les morts au passage, Je fais désormais tourner le globe de mes coudes - De tout mon poids! De tout mon poids. L’un des nôtres se mit debout et, en faisant le salut Reçut une balle en prenant une inspiration. Mais c’est vers l’Ouest que notre bataillon avance péniblement, Pour que le soleil puisse se lever à l’Est. Nos ventres dans la boue... On respire la puanteur des marais, Mais l’on ferme les yeux devant l’odeur. Le soleil suit son cours normal dans le ciel, C’est parce que nous nous ruons vers l’Ouest! Ai-je bien mes bras, mes jambes? Comme les jeunes mariés boivent de la rosée, Nous on tire la terre par les tiges de nos dents - De tout notre poids! De tout notre poids.
© Ania Stas. Traduction, 2015