Tout en ce bas monde arrive à son heure,
Et le sel marin ronge comme le diable...
Deux vaisseaux noirs étaient dans les docks
L’un près de l’autre, flanc à flanc.
Madame tordit de biais ses cheminées,
Haussa le gaillard d’avant et la poupe:
D’où sort ce type, ce grossier personnage,
tout tordu, rouillé, une vraie nullité!
Les deux vaisseaux
S’évitaient des yeux
Et se haïssaient l’un l’autre
En pleine harmonie!
Monsieur était une parfaite épave,
Et madame n’était plus une jeunesse,
Et vus à distance ils pouvaient
Effrayer et donner envie de les couler.
Monsieur était tout gelé de dégoøt,
Bien qu’en fer et soude de fondement,
Et ses vingt mille de tirant d’eau
Tremblaient en lui d’indignation.
Et les deux navires s’offensaient tant
L’un l’autre
Qu’ils se haïssaient l’un l’autre
En pleine harmonie.
Les semaines passèrent, on les rafistola,
Les peintres mastiquèrent leurs coutures
Puis on ceignit la taille des navires
De leur ceinture de flottaison.
On a lavé les cuivres, passé le pinceau,
Lâché la vapeur, illuminé les salons
Et le pont, et, la réparation finie,
Les deux navires ont redressé les épaules.
Les deux navires ont regardé
Leur bordage lisse,
Et vu qu’ils avaient l’un et l’autre
Bien embelli.
Monsieur a déclaré dans un soupir
A madame: "Nous avons tort tous deux
Jamais je n’ai vu ni femmes ni
Navires plus beaux que vous!"
Madame, dans un état similaire,
Le déclara proprement irrésistible
La grandeur se distingue à distance
Mais se voit mieux encore de près.
Autour s’entassaient les constructions,
La foule s’amassait
Mais les deux navires s’expliquaient
Seul à seul.
L’administration maritime eut beau
Les inscrire dans deux ports opposés,
Les deux navires quittèrent le dock
Ensemble et collés bord à bord.
Ils avancèrent muets jusqu’à l’horizon.
Libérés des courants et des gouvernails.
La brigade des réparateurs salua gentiment
Les deux navires qui refusaient de se quitter.
Que leur est-il arrivé? Étaient-ils tous deux
Devenus fous,
Ou peut-être tombèrent-ils simplement amoureux
L’un de l’autre.
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