J’ai franchi la moitié du monde dans les combats, J’ai rampé la moitié du monde avec mon bataillon, Et, pour prix de mes mérites, un jour le fourgon D’un convoi d’ambulances m’a ramené chez moi. On m’a transporté en camion Sur le seuil de ma maison. Je suis resté muet, la fumée Par-dessus le toit avait changé. Les fenêtres semblaient craindre de me regarder, La patronne accueillit le soldat sans joie Sans tomber en larmes sur sa poitrine mâle, Les bras levés au ciel elle a fui dans la chaumière. Les chiens enchaínés ont hurlé, J’ai pénétré dans l’entrée assombrie, J’y ai buté sur une odeur d’étranger, J’ai tiré la porte et mes genoux ont fléchi. Un nouveau maítre de maison à l’air obtus Occupe à table la place qui m’appartenait, Il porto mon chandail, la patronne est à ses côtés, Et les chiens ont aboyé normalement sur l’intrus. Ainsi donc pendant que je courais Sous les balles, sans jamais rigoler, Il déménageait tout dans ma maison Et installait tout à sa façon. Nous marchions sous la main du Dieu des combats, Couverts par le feu nourri de nos canons, Mais une blessure mortelle au dos me frappa, Et je tombai touché en plein coeur par la trahison. Je me courbai jusqu’à la ceinture, J’appelai ma volonté à la rescousse: "Excusez-moi, camarades, d’être entré Par erreur dans la maison d’un étranger." Que voui soient donnés la paix, l’amour et le pain, Que l’entente règne dans votre maisonnée! Mais l’autre indifférent ne répondit rien, Tout allait pour lui comme il se devait... Sous moi le plancher mal lavé chancela, Je n’ai pas claqué la porte comme jadis, Seules tes fenêtres s’ouvrirent à ma sortie Et d’un regard coupable ont suivi mes pas.
© Jean-Jacques Marie. Traduction, 1989