Chauffe-moi l’étuve à blanc, Que je m’habitue à ce bas monde. Haletant, je perdrai le souffle, Et la vapeur va délier ma langue. Chauffe-moi l’étuve, patronne, Je me brûlerai, je m’enflammerai, Sur le banc, sur le rebord du banc, J’exterminerai mes doutes en moi. J’étoufferai jusqu’à l’inconvenance, Une cuve d’eau froide effacera tout; Un calot des temps du culte Bleuit sur mon sein gauche. Chauffe-moi l’étuve à blanc, Je suis paumé en ce bas monde, Haletant, je perdrai le souffle Et la vapeur va délier ma langue. Que de foi et de forêts abattues, Que de chagrins, de chemins parcourus, Sur mon sein gauche le profil de Staline, Sur mon sein droit le visage de Marinka. Ah! J’ai payé ma foi indomptable De tant d’années de repos au paradis. J’ai troqué ma sottise insondable Pour la plus monotone des vies. Chauffe-moi l’étuve à blanc, Je suis paumé en ce bas monde. Haletant, je perds le souffle, Et la vapeur va délier ma langue. Je me rappelle ce petit matin-là, J’ai pu crier à mon frère: «Attends» Et deux beaux gardes en armes M’ont traîné de Sibérie en Sibérie! Dans les cailloux et dans la boue, La gorge pleine de larmes et de tord-boyaux, Nous gravions les profils au ras du coeur Pour qu’iL entende leur battement sourd. Chauffe-moi l’étuve à blanc, Je suis paumé dans ce bas monde. Haletant, je perds le souffle Et la vapeur va délier ma langue. Ce conte minutieux m’enfièvre. La vapeur a chassé mes pensées. Je sors de la brume froide du passé Et me perds dans le brouillard brûlant. Mes pensées cognent sous mon crâne, J’en porte l’estampille inutile, Et de mon balai de bouleau je cingle L’héritage des temps obscurs. Chauffe-moi l’étuve à blanc, Que je m’habitue à ce bas monde. Haletant, je perdrai le souffle, Et la vapeur va délier ma langue.
© Jean-Jacques Marie. Traduction, 1989