Pour effacer les traces, ils ont tout balayé. Injuriez-moi, couvrez-moi de honte et de ragots, L’horizon est ma ligne d’arrivée, le bout du monde Mon ruban et je dois arriver premier sur l’horizon. Les conditions du pari font grimacer certains, A contrecoeur nous avons topé dans nos mains La règle du jeu: rouler sur la chaussée Sans jamais s’en écarter, sans jamais dévier Mon cardan dévide miles sur miles, J’avance, parallèle aux fils électriques, Et devant mon moteur court l’ombre D’un chat noir ou d’un être vêtu de sombre. Je devine les bâtons que l’on met dans mes roues, Je connais les moyens employés pour me tromper, Je devine l’instant où le ricaneur va couper Ma course, le lieu pour tendre un câble sur ma route. Les aiguilles du compteur claquent. A cette vitesse Un grain de sable frappe aussi fort qu’une balle, J’empoigne le volant, les poignets tremblants Pour arriver avant le blocage des boulons. Mon cardan enroule miles sur miles, J’avance à la verticale des fils électriques, Écrous vissés. Plus vite, encore plus vite, Avant que le câble ne me tranche le cou. L’asphalte fond, l’enveloppe des pneus bout, Mon coeur bégaye à l’approche du dénouement, Ma poitrine nue brise le câble tendu, Je suis vivant! Enlevez vos noirs bandeaux! Ceux qui m’ont contraint à ce rude pari Trichent dans leurs discours et leurs calculs. La frénésie m’enivre, mais quoiqu’on dise, Je freine dans les virages épineux. Mon cardan dévide miles sur miles Et fait la nique aux fils, aux cordes, aux câbles Occupez-vous seulement de calmer les perdants Lorsque j’apparaîtrai sur la ligne de l’horizon. La ligne d’arrivée ne se rapproche pas. J’ai rompu le câble, sans couper le ruban, La corde tendue ne m’a pas brisé le cou, Mais les tireurs des buissons mitraillent mes pneus. Je n’ai pas couru alléché par l’argent! Ils m’ont dit ne laisse pas échapper l’instant, Va voir si le monde s’arrête au bout du monde, Va voir si l’on peut déplacer les horizons. Mon cardan dévide miles sur miles, Je ne les laisserai pas mitrailler mes roues. Les plaques de mes freins lâchent. Quel bémol! Je loupe en plein vol la ligne de l’horizon.
© Jean-Jacques Marie. Traduction, 1989