En pleine lumière, livré à tous leurs yeux, J’ai entrepris la procédure quotidienne, Planté devant le micro comme en face des icônes, Je me sens collé à l’embrasure d’une croisée. Ma tête ne lui revient pas à ce micro, Et ma voix peut dégoûter n’importe qui, J’en suis sûr, si je bronche sur un mot, Il amplifiera ma gaffe sans merci! Les feux de la rampe me frappent au ventre, La lueur des lampes me scie le visage, Et les projecteurs de flanc m’aveuglent. Ah, j’étouffe, j’étouffe, j’étouffe. Il luit plus mince qu’une lame et son ouïe Sans reproche saisit la moindre fausse note, Je ne suis pas en forme ce soir; il s’en fiche. A moi de me débrouiller pour chanter juste! Aujourd’hui ma voix est encore plus enrouée, Mais je ne me risquerai pas à changer De tonalité, car si ma voix s’embourbe Il refusera de redresser ma courbe. Les feux de la rampe me frappent au ventre, La lueur des lampes me scie le visage, Et les projecteurs de flanc m’aveuglent. Ah, j’étouffe, j’étouffe, j’étouffe. Sur son cou souple le micro Tournoyé sa tête de serpent; A mon premier silence, il mordra; Je chanterai jusqu’à la démence et la mort. Pas un geste, pas un mouvement, ne bouge pas! J’ai vu ton dard, ta langue de vipère, Et je suis là comme un charmeur de serpents, Je ne chante pas, j’exorcise un cobra. Les feux de la rampe me frappent au ventre, La lueur des lampes me scie le visage, Et les projecteurs de flanc m’aveuglent. Ah, j’étouffe, j’étouffe, j’étouffe. Il est vorace, avide comme un oisillon, Il m’arrache les sons du fond de la gorge, Il me trouera le front de ses balles de plomb, Et ma guitare m’interdit de lever les mains. Cette épreuve n’aura donc jamais de fin? Qui va me dire enfin ce qu’est mon micro? Il se dresse, lampe au bord de mon visage, Mais il ne brille pas et je ne suis pas saint. Les feux de la rampe me frappent au ventre, La lueur des lampes me scie le visage, Et les projecteurs de flanc m’aveuglent. Ah, j’étouffe, j’étouffe, j’étouffe. Mes mélodies sont plus simples que des gammes, Mais dès que je perds le ton de la vérité L’ombre raide du micro, d’un coup de fouet Cinglant raye mon visage d’une balafre. En pleine lumière, livré à tous leurs yeux, J’ai entrepris la procédure quotidienne, Planté devant le micro comme en face des icônes, Je me sens collé à l’embrasure d’une croisée. Les feux de la rampe me frappent au ventre, La lueur des lampes me scie le visage, Et les projecteurs de flanc m’aveuglent. Ah, j’étouffe, j’étouffe, j’étouffe.
© Jean-Jacques Marie. Traduction, 1989