Un passant a remarqué le fruit encore vert, Ils ont secoué l’arbre et le fruit est tombé, Et voici la chanson de celui qui n’a pas chanté, De celui qui n’a pu savoir qu’il avait une voix. Il a connu cent désaccords avec le sort, Et tant de chagrins avec le destin; Sur sa corde tendue les accords Ont grincé imperceptiblement. Il a commencé par un timide do Mais il n’a pu tenir sa note; L’accord rompu s’est brisé Et nul ne s’en est inspiré. Un chien aboyait, un chat Jouait au chat et à la souris. Que c’est drôle, hein, drôle, drôle! Il blaguait, et ses blagues avortaient. Il n’a pas vraiment goûté le vin, Il n’y a même pas trempé ses lèvres. Sans hâte et toujours incertain, Il suscitait d’interminables querelles. Et comme une sueur suintant de ses pores Son âme s’écoulait le long de sa peau. Il avait seulement engagé le duel, Il avait juste eu le temps de débuter, Il avait à peine commencé à s’orienter, L’arbitre n’avait pas encore donné le signal. Il voulait tout connaître de A jusqu’à Z, Mais il n’a pu descendre jusqu’au cœur De l’énigme, la creuser jusqu’au fond, Et il ne sut pas réellement aimer Celle qui fut l’unique. Que c’est drôle, hein, drôle, drôle! Il se dépêchait trop lentement Et laissait en plein chantier Tout ce qu’il n’avait pas résolu. Je ne mens pas d’une syllabe. Il était asservi à la sévérité du style. Il lui dédiait des vers écrits sur la neige, Dont la nappe finit toujours par fondre. Mais la neige alors tombait encore Et l’homme était libre d’écrire sur elle, Dans sa course il saisissait de ses lèvres Ses longs flocons et la lourde grêle. Il courut vers elle dans un carosse d’argent, Mais il ne put jamais la rejoindre, Fuyard, fugitif incapable d’atteindre son but, Incapable de galoper, de voler jusqu’à elle. Sur la table du Zodiaque le Taureau Buvait à longs traits la froide voie lactée. C’est drôle, hein, très drôle Quand il manque quelques secondes, Quand il manque un maillon, Quand le vol arrêté s’interrompt. C’est drôle, hein, mais voilà Drôle pour vous et même pour moi Un cheval au galop et le vol de l’oiseau; Mais quel est donc le coupable?
© Jean-Jacques Marie. Traduction, 1989