C’est ma faute, je verse des larmes, et je gémis, Je suis tombé dans une ornière profonde, creusée par autrui. Je me fixais mes propres buts à mon propre choix. Et je n’arrive pas à me dégager de cette ornière Aux bords abrupts Où glissent mes doigts. Je maudis ceux qui l’ont creusée, Ma patience va bientôt craquer, Et je décline comme un mauvais élève De l’ornière, dans l’ornière, avec l’ornière. Pourquoi suis-je à ce point incorrigible et si effronté? Les conditions de vie sont en gros normales dans cette fondrière! On est à l’abri des coups et des accrochages, sécurité entière! Et si tu veux rouler tout droit, libre à toi Et dans cette ornière confortable, pain et vin à volonté J’ai bien vite saisi: je n’étais pas le seul enlisé, Rester là, roue dans roue, et j’arriverai là où ils vont tous. Un excité s’est emballé: laisse-moi sortir! Et l’énervé discute avec l’ornière par sottise. Toute la chaleur de son âme a brûlé dans la querelle. Ses soupapes et ses culasses ont lâché, Il a tant patiné sur les bords, Que l’ornière s’est élargie encore. Et soudain ses traces s’évanouissent, On traîne dans un fossé ce toqué Qui empêche les suivants de se tramer Dans l’ornière que les autres ont creusée. Mais le malheur me frappe aussi, mon démarreur mollit, Ce voyage devient un cauchemar brinquebalant Il faut descendre, pousser, je reste bras ballants. J’attends une aide qui ne vient pas dans l’ornière d’autrui.     Je cracherais l’argile et la rouille Pour régler le compte de cette ornière Étrangère, et son sillon défoncé Interdit à mes suivants toute espérance. Une sueur glacée me ronge jusqu’aux os, Et sur une planche j’avance à petits pas. Les ruisseaux du printemps ont raboté les bords, Et de l’ornière enfin je sors, sauvé! Mes pneus crachent la boue dans l’ornière d’autrui. Mes suivants! Imitez-moi! Je vous le dis! Ne me suivez pas! Cette ornière n’est qu’à moi! Votre ornière, creusez-la!
© Jean-Jacques Marie. Traduction, 1989