Les incendies montent dans le pays, hauts, brûlants, joyeux. Leurs reflets dansaient la valse à deux temps et à trois pas, Mais le Destin et le Temps ont lâché leurs chevaux, Au grand galop, le front sous la mitraille, Et le bruit de leurs sabots a secoué le monde d’un long frisson. Les balles perdues, cruelles, aveugles et insensées, Traquent sans répit notre envol éperdu; Les chevaux ont perdu leurs fers brûlants, Tombés dans la poussière au bonheur des passants. Les rênes sont habiles comme des anguilles, Les cheveux et les pensées se mêlent en courant, Le vent dans son souffle dénouait nos boucles Et redressait les sinuosités de notre cerveau. Il est vain de fuir l’incendie, de craindre la chasse, Le Temps est à nos trousses et la Fortune a souri. Les cavaliers croisent le fer avec le soleil, Le cavalier est un poète et son cheval est Pégase; L’incendie a faibli et le feu s’est éteint, Mais la course a flambé! Le monde n’avait jamais vu une telle allure, Les sabots sonnent la charge, la grêle bat le tocsin, La balle aveugle et folle, toute baignée de sang, A pris du plomb, a pris du poids et frappe juste. Qui va battre qui? La danse prend le mors, Qui va l’emporter dans cette course sans traînards? Le souffle du vent arrache la chair des os Et rafraîchit de son aile le squelette joyeux. Le succès nous attend et la guérison des malades, Le Temps enfin rompt le cercle et fonce en avant, Et le Lendemain promis ne sera qu’ivresse amère. Joie de bondir et d’apercevoir l’ennemi, Joie et grâce aussi de voir son ami! Le Destin vole par la prairie! Nous mènerons par le bout du nez la Mort trop confiante. Elle a traîné en chemin, oublié de brandir sa faux. Nul ne nous a rattrapés et les balles cafouillent. Nous laverons-nous enfin de rosée et non de sang? Le vent a soufflé mélancolique et sourd, Il a transpercé le Temps, blessé le Destin. Les vents et les chevaux traînent sur leur dos Les corps et les âmes des assassinés.
© Jean-Jacques Marie. Traduction, 1989