Je rêve de rats, de trompes, de démons. Je Gémis, je les invective pour les chasser au loin; Ils cèdent la place, un échanson se lève Et me chuchote. «L’issue est là, le jour s’achève, Du vin! Tes étouffements soudain cesseront, Tes visions se dissiperont, ton cœur et ton aorte S’apaiseront et ton armure s’amollira». Je redeviens moi et vous, désormais, croyez-moi. Donnez-moi en échange un peu d’immortalité, Une large chaussée, un ami et un cheval. Je vous le demande humblement, tête baissée, Et, le jour enfin où vous me relâcherez, Ne pleurez pas sur mes pas, par miséricorde.
* * *
Je vénère Faust et aussi Dorian Gray, Mais livrer mon âme au diable, jamais! Pourquoi les tsiganes lisent-elles mes mains Et me révèlent le jour fixé pour ma mort? Au nom du Seigneur, ne marque donc pas Cette date fatale sur ton calendrier, Ou alors, à l’ultime instant, efface-la, Pour que je n’attende pas l’envol des corbeaux, Ni le bêlement plaintif des agneaux, Ni les ricanements des embusqués de l’ombre. Ô mon Dieu, protège-moi sans tarder De tous ces gens-là qui dans mon âme Ont voulu semer le doute et la crainte. ...Donnez-moi en échange un peu d’immortalité, Une large chaussée, un ami et un cheval. Je vous le demande humblement, tête baissée, Et, le jour enfin où vous me relâcherez, Ne pleurez pas sur mes pas, par miséricorde.
© Jean-Jacques Marie. Traduction, 1989