Au restaurant, de gingois, dans leur cadre terne, «Les trois ours» et «Le preux blessé»1 aux murs. À une table, seul dans un coin, un capitaine. «Vous permettez?» et lui: «Tu peux, c est sûr». «Prends-en une» - «Des Kazbeks, je n’en fume pas, merci». «Bon, bois un coup, va donc te chercher un verre, En attendant le repas, bois que je te dis, À ta santé!» - «Pour ça, faut pas s’en faire». «Hum, eh bien quoi?» dit le capitaine un peu gai, «Ah, tu la siffles facile, la vodka, Mais as-tu vu de près une mitrailleuse, un blindé Ou, disons, fait une percée une seule fois? En quarante-trois, à Koursk2, adjudant j’étais, Si tu avais vu ceux qui étaient avec moi! Il y avait de tout derrière mon dos, vrai, Tout ça pour que tu vives bien, mon petit gars!» Il jurait et buvait, questionnait sur mon père. I hurlait, les yeux absents, fixant le plat «J’ai donné la moitié de ma vie pour toi, vipère, Et toi, tu brûles la tienne, espèce de Judas! Faudrait te donner un fusil? T’envoyer à la guerre? Et tu bois avec moi, sacré bon sang!» J’ètais comme à Koursk dans la tranchée militaire, Là où le capitaine était adjudant. Il buvait, s’enivrait. Je le suivais sans peine. Seulement, à la fin de la discussion, Je l’ai vexè, je lui aid it tout de go: «Capitaine, Tu ne seras jamais colonel, oh, ça, non!»
1 Tableaux célèbres respectivement de Chichkine et Vasnetsov.
2 La plus importante bataille de chars de l’Histoire.
 
© Michel & Robert Bedin. Traduction, 2003