Le capitaine, ce jour-là, se laissait tutoyer, Le skipper et le mousse rivalisaient de talent. Les matelots de quart, comme des diables, se démenaient, Bombant le torse, arrachant leurs pansements. Les portes de nos têtes Ont sauté de leurs gonds Dans ces mirages de rêves, De terres en surplomb. Tellement promises, désirées ardemment, Celles de Christophe Colomb et de Magellan! Voir rivages et terres Ne me sera pas donné À neuf noeuds, sur la grève, Je me suis échoué. Or, mon but était noble Comme celui des pionniers. Mais c est vrai que c’est de ma faute Si je suis ensablé. Les autres sont partis, ma flotte, mes galions, Les plus sensbles d’entre eux ont pleuré des embruns, Sans moi, s’est poursuivie la grande expédition Et les voiles m’ont fait des signes d’adieu de loin. Maudissant la météo Et la distinée, Mes fils adoptifs M’ont tous abandonné Ils ont tiré deux salves d’enterrement! Du «Christophe Colomb» et du «Magellan». Je bois l’écume la vague N’atteint pas mon menton, Mes bords sont dénudés. De la cale au ponton, En très piteux état, Je ne peux le cachcr. Admirez dans ce cas Mes blessures et mes plaies! Ce sabord dans ma coque, c’est d’un boulet la trace, Là, les cicatrices d’un éperonnage Vous voyez ces balafres? C’est celles d’un pirate Qui me brisa les vertèbres lors d’un abordage. Ma quille, vieux chevalet Pc guitare décentré, Le récif de corail, Tout du long, m’a éventré. J’étouffe, je moisis: il faut se dire Que même ce qui est salé peut pourrir. Les vents boivent mon sang, S’insinuent dans mes fentes. De la dunette au flanc, Partout les vents me hantent. De l’aurore à l’aurore, Ils sont là, je tiens le coup. Dans mon âme perdue, Ils enfoncent leurs clous. Et tels des fêtards fous qui mettent tout sens dessus dessous, Cçs vents sont importuns, les pires des compagnons. Ils voudraient déguster de mes cales le vin doux Ou alors, de colère, me désensableront! J’en suis persuadé, Comme un fauve traqué, Cette haine des vents, Le pourrais m’en passer! Mes mâts sont des bras sans forse, sans âme, Mes voiles prenent l’aspect d’une poitrine de vieille femme. Un miracle viendra! Le ressac doucement, Lavera mon corps D’eua viive, en un instant. Pour chasser mes tabous, Mer et pluie s’uniront. Mes voiles gonfleront Comme des veines sur le front. Je rejoindrai les miens, les rejoindrai, les prierai De se rapeler l’armada oubliée Et je reprendrai mon équipage, c’est vrai, Je ne lui en veux pas de m’avoir laissé tomber! Seulement, on me rejette, Il n’y a plus de place dans le rang. Tu veux rire, corvette! Serre-toi, je serai franc! J’ai fui mon triste sort, Je suis votre frère à tous! Frégate, plus à bâbord, Il y a de l’eau pour tous! Vous avez passé les bornes! Que je retourne dans mon coin? Si l’on s’est échoué, Ne peut-on alier plus loin? Nous sommes tous des navires, Élargissez les rangs, Pour tous, il y en de l’eua, Des terres, il y en a tant, De ces terres promises, désirées ardemment, Celles de Cristophe Colomb et de Maeellan!
© Michel & Robert Bedin. Traduction, 2003