En mer la tempête fait rage, Tandis que l’écume repasse Les accrocs sableux de la plage. De la falaise, j’ai l’image Des vagues se fracassant la face. J’éprouve pour elles une pitié sincère De les voir périr, De loin derrière. J’entends leur râle agonisant Leur rage de ne pas être invincibles. À quoi bon prendre un tel élan, S’enforcir dans l’étranglement, Et se briser la tête sur la cible! J’éprouve pour elles une pitié sincère De les voir périr, Mais loin derrière. Crinières blanches du destin! Devant la mort comme fardés, Se cabrent les chevaux marins, À l’appel du martial tocsin, Puis se brisent, le mufle levé. J’eprouve pour eux une pitié sincère De les voir périr, De loin derrière. Et le vent bat les lames dressées, Ébouriffant les crinières crème. La vague, à l’écueil, arrêtée Et, par un croc-en-jambe S’effondrera le cheval blême. J’éprouve pour lui une pitié sincère De le voir périr, De loin derrière. Mon tour est proche et l’on m’incline, En me poussant vers l’abîme, à choir J’y pense déjà, je l’imagine, Je me fracasserai l’échine, Je me briserai la mâchoire. Ils énprouveront pour moi une pitié sincère De me voir périr, De loin derrière. Depuis des siècles, ces spectateurs Sont sur la plage à regarder, Attentifs et observateurs, Les autres se démolir le cœur Et les vertèbres sur les rochers. Et ils éprouvent une pitié sincère De les voir périr, De loin derrière. Aux fonds marins enténébrés, Là où les cétacés demeurent, Va naître et bientôt s’élancer Une vague inimaginée. Sur la rive elle va déferler Et elle noiera les spectateurs! J’éprouverai une pitié sincere De les voir périr, De loin derrière.
© Michel & Robert Bedin. Traduction, 2003