Je mourrai bien un jour, On meurt tous, c’est chose certaine, Mais comment faire en sorte De mourif un couteau dans le dos? Les victimes, on les choie, on les chante, on leur promet l’Éden. Ne parlons pas des vivants, C’est les morts que l’on cajole plutôt. Tête première dans la boue, De côté, joliment je m’affale, Et mon âme s’enfuira Au galop, sur des chevaux volés. Dans les champs Elysées, Je déroberai les pommes rose pâle. Mais les gardes sont là Qui vous fauchent d’une balle sans hésiter. C’est la fin de ma course En voilà, un drôle de Paradis! Une lande pelée, Un Néant complet et sans frontières. Au milieu de ce Néant Un portail de fer forgé surgit Le peuple exténué Au portail fixe le portail de fer. Mon cheval limonier À frémi. Je le calme d’un mot doux Et d’une tige de chanvre, Je lui peigne la crinière doucement. Un vieillard à cheveux blancs Longtemps tripota le verrou, Il gemit, soupira, Sans succès, repartit finalement. Le peuple éreinté Reste coi, le visage inexpressif, Les genoux engourdis, S’accroupit sans dévier. Ici, c’est du miel, les gars, On nous reçoit au son des fifres! On a tourné en rond, Au-dessus, on peut voir le Crucifié. Se mordant les poignets Ont passé deux fantômes blafards. Au cri de «Frappe le rail!» Des clochards comme des anges ont volé. La-bas, c’est du miel, les gars, On nous reçoit vraiment en fanfare, Non, c’est un bruit de clés. Ah, enfin, il les ont retrouvées! J’ai reconnu le vieillard À ses larmes sur ses joues flasques, C’était Saint Pierre l’Apôtre. Lui, le saint apôtre, moi, le fanfaron. Il y a des jardins, Des pommes gelées, de pleines vasques. Mais les gardes sont là. Je suis mort d’une balle dans le front. Exauce nos voeux, Seigneur! Et de voeux, en ai-je émis tellement? Juste avoir des amis, Que ma femme pleure à mon enterrement, Et pour eux, pour eux seuls, J’irai cueillir les pommes rose pâle. Mais les gardes sont là Qui vous fauchent, à coup sûr, d’une balle. Et avec les chevaux Je regarde: une zone1 pour toutes les zones! Les portes fleurent le pain C’est plus sûr que d’avoir les mains liées. Je suis toujours sain et sauf, Je me suis saoulé d’ozone. J’ai la bouche pleine de fleurs, Les jurons, je ne peux plus les prononcer Et les chérubins planent. L’ange du mirador a l’accent, c’est curieux! Le Christ ne demandera rien Et aux arbres, j’arrache les fruits gelés. Quel bonheur, ce coup de feu! Car revenir sur Terre, enfin, je le peux. Je t’apporte les pommes, En mon sein, je les ai réchauffées. Je force alors mes chevaux Loin de ce coin pourri, sépulcral, Ils voudraient de l’avoine Mais ils ont le mors à ronger. Je leur donne du fouet, Tout au bord de ce gouffre abyssal. Je t’apporte une brassée De pommes, à toi qui m’attendais.
1 Le mot zone est équivalent à camp de concentration.
 
© Michel & Robert Bedin. Traduction, 2003